Sung Anh est un chef sud-coréen réputé pour sa cuisine raffinée qui mêle ses racines culinaires asiatiques, telles que les ingrédients fermentés, aux techniques de la haute cuisine internationale. À l’âge de 12 ans, Sung Anh a quitté la Corée du Sud pour s’installer en Californie, aux États-Unis, avec ses parents qui tenaient un restaurant chinois. Après avoir servi dans l’armée américaine, il rêvait de devenir mécanicien Porsche. Mais le destin lui réserve un tout autre sort : coup de foudre pour une école de cuisine. C’est donc là qu’a commencé son incroyable voyage ! Sung Anh a travaillé dans de grands restaurants aux États-Unis, en Corée du Sud et au Japon avant d’ouvrir son premier restaurant à San Francisco : Mosu, de « kosumosu » qui signifie « fleur du cosmos » en coréen.
Il a ensuite déménagé son restaurant en Corée du Sud, où il a atteint le sommet de sa carrière en obtenant la prestigieuse distinction des trois étoiles Michelin en 2023 et 2024, devenant le seul chef à pouvoir se prévaloir de cette distinction dans le pays. Véritable ambassadeur de la gastronomie coréenne dans le monde, Sung Anh a participé à de nombreux événements culinaires et programmes télévisés. Parmi eux, la récente série Netflix Culinary Class Wars (sortie le 17 septembre), une compétition spectaculaire qui voit une centaine de chefs, des jeunes talents aux grands noms de la cuisine étoilée, s’affronter pour le titre de meilleur chef de Corée du Sud.
WAKAPEDIA’S SUNG ANH
Nous avons eu le plaisir et l’honneur de rencontrer le chef Sung Anh à Tokyo à l’occasion de sa collaboration avec un autre chef de renom : Luca Fantin. Italien d’origine, mais japonais d’adoption, Luca Fantin est célèbre pour ses interprétations contemporaines de la cuisine italienne combinées à la générosité saisonnière des ingrédients japonais. Après avoir fait ses classes dans des restaurants prestigieux – de Cracco à l’Osteria dell’Orso de Gualtiero Marchesi, d’Akelarre à Mugaritz, en passant par le restaurant Ruy Gin à Tokyo – Luca est aujourd’hui le chef exécutif du restaurant Bvlgari Ginza Tower à Tokyo. C’est là que Luca et Sung Anh nous ont invités à un dîner exceptionnel à quatre mains. Comme nous venions de voir Sung Anh dans la série Culinary Class Wars, une sorte de Squid Game culinaire, nous nous attendions ici aussi à une bataille entre grands chefs, mais ce fut au contraire une soirée placée sous le signe de l’harmonie, du raffinement culinaire et du dialogue entre deux cultures. Luca nous a enchantés avec sa cuisine à la fois traditionnelle et moderne, basée sur une incroyable combinaison d’ingrédients japonais et de saveurs italiennes. Sung Anh nous a émerveillés par sa créativité et l’audace de sa cuisine contemporaine qui reste fidèle à ses racines coréennes (God save the kimchi !). Bref, un dîner super fin, super étoilé et super international, comme on les aime !
Après le repas, nous avons eu l’occasion de discuter avec les chefs. Malgré sa petite quarantaine, Sung Anh nous a émerveillés par sa sagesse et sa vie riche en expériences diverses. Nous étions littéralement suspendus à chacune de ses paroles, tant nous étions désireux de tout savoir sur lui. Vous aussi, vous êtes curieux ? Alors lisez l’interview ci-dessous !
Wakapedia: Merci pour votre temps, nous savons que vous êtes très occupés et fatigués après nous avoir préparé ce sublime dîner ! Nous vous promettons de ne pas être trop longs ! Tout d’abord, quel a été votre parcours ? Comment êtes-vous arrivés jusqu’ici ? Sung Anh, commençons par toi !
Chef Sung Anh : Question difficile, c’est une longue histoire. Donnez-moi un verre de whisky et je vous raconterai tout ! (rires) Je ne sais pas par où commencer, mais disons que dans la vie, il y a parfois des choses qui arrivent sans raison. Enfant, je n’aurais jamais pensé devenir chef cuisinier. J’ai émigré aux États-Unis à l’adolescence et il n’a pas été facile de s’intégrer, la situation de ma famille était précaire et je me suis battu pour en sortir. Lorsque j’ai terminé le lycée, je savais que je n’irais pas à l’université, alors je me suis engagé dans l’armée et je suis parti pour l’Irak.
Wakapedia: En Irak ?! Tu n’as pas choisi la facilité…
Chef Sung Anh: Oui, je sais, en fait je ne l’ai même pas dit à mes parents.
Wakapedia: Wow… et puis ?
Chef Sung Anh: Et puis lorsque je suis revenu en Californie, comme j’aimais les voitures et les courses automobiles, je me suis dit que je deviendrais mécanicien, et je me suis inscrit dans une école professionnelle.
Wakapedia: Toi mécanicien ? Nous ne l’aurions pas cru !
Chef Sung Anh: Et oui ! Mais laissez-moi finir l’histoire ! (rires)
Wakapedia: Tu as raison, excusez-nous, mais c’est tellement intéressant que nous avons hâte de tout savoir sur toi !
Chef Sung Anh: Ahahaha, carrément !
Une semaine avant de commencer l’école de mécanique, alors que je conduisais, j’ai vu plusieurs jeunes chefs se rendre à l’école de cuisine ; je ne connaissais rien à ce métier, mais j’étais fasciné par leur tenue vestimentaire, si distinguée, leurs vestes immaculées et leurs pantalons à carreaux. J’avais 24 ans à l’époque, je ne m’étais jamais intéressé à la cuisine, je préférais les voitures… et pourtant, ce jour-là, j’ai ressenti une émotion intense, comme une vocation ! Du jour au lendemain, j’ai annulé mon inscription au lycée professionnel et j’ai décidé de devenir l’un de ces hommes, parce que je les trouvais fabuleux.
Wakapedia: Quelle histoire improbable ! Penses-tu que ton expérience dans l’armée et ta passion pour la mécanique ont influencé ta cuisine d’une manière ou d’une autre ?
Chef Sung Anh: Tout dans la vie influence ton développement personnel et donc ta cuisine, consciemment ou non. Tout ce que j’ai été et tout ce que je suis m’influence encore aujourd’hui. Être un immigré qui doit se plier en quatre pour devenir quelqu’un, un mécanicien qui démonte un moteur pour le faire fonctionner, un soldat qui part en zone de guerre… être cuisinier demande de la détermination, du courage et de la patience. Alors oui, je peux dire que mon parcours de vie a fait de moi le chef que je suis aujourd’hui.
Wakapedia: Et toi, Luca ? Trouves–tu des points communs avec l’histoire de Sung Anh ? Ou ton parcours pour devenir chef est-il très différent ?
Chef Luca Fantin: Mon parcours est très différent du sien, mais je suis d’accord sur l’importance du courage et de la détermination pour devenir un chef cuisinier renommé. Je pense que tout le monde peut devenir ce qu’il veut dans la vie, mais il faut une direction claire. Par exemple, quand j’étais jeune, j’ai toujours voulu faire un marathon, même si je n’étais pas sûr de pouvoir le faire parce que j’avais peu de temps pour m’entraîner. La première fois que je l’ai fait, j’ai couru lentement et je suis arrivé détruit ; la fois suivante, j’ai pu courir plus vite et je me suis amélioré au fil du temps. Être cuisinier, c’est un peu la même chose !
Wakapedia: Mais toi quand as-tu compris que tu voulais devenir chef cuisinier ?
Chef Luca Fantin: À 18 ans, je jouais au rugby et je devais décider si je deviendrais joueur professionnel ou si je devais me trouver une autre voie. Finalement, c’est la cuisine qui m’a convaincu – il faut dire que ma mère cuisine très bien ! – et je me suis consacré corps et âme à cette voie. L’école hôtelière m’a permis de travailler dans un restaurant Michelin et c’est là que j’ai eu le coup de foudre pour la haute cuisine. Je m’intéressais aux meilleurs ingrédients, j’admirais les grands chefs comme Michel Bras, Alain Ducasse… ils étaient mes idoles ! Et après de nombreuses années de persévérance, ces mêmes chefs viennent maintenant manger chez moi. C’est un rêve qui se réalise, à force d’engagement et de sacrifices. Rien n’est garanti, mais si l’on veut vraiment quelque chose, on finit toujours par y arriver, j’en suis convaincu. Je dis la même chose à mon fils de dix ans qui veut devenir footballeur. Le chemin peut être long et semé d’embûches, mais si vous avez la volonté, vous pouvez tout faire.
Wakapedia: Un papa modèle et une grande source d’inspiration ! Une autre question pour vous deux : puisque nous nous rencontrons à Tokyo, dites-nous ce que vous aimez dans la cuisine japonaise ?
Chef Sung Anh: La culture des ingrédients de qualité et le souci du détail, le juste équilibre des saveurs.
Chef Luca Fantin: Je dirais la saisonnalité des produits, un élément essentiel dans ma vision de la cuisine.
Wakapedia: Sung Anh, en tant que Coréen, nous imaginons que tu as été influencé par la cuisine et la culture japonaises.
Chef Sung Anh: C’est une question que l’on me pose souvent. Pour y répondre, je ne peux m’empêcher d’évoquer une partie de l’histoire de ma famille. Mes grands-parents ont vécu pendant l’annexion de la Corée par le Japon et ont été contraints d’apprendre la culture et la langue japonaises. Lorsqu’ils m’ont élevé, il était naturel pour eux de parler japonais et de cuisiner des plats japonais plutôt que coréens. Ma grand-mère préparait souvent du riz avec du kanpira (un accompagnement japonais, généralement composé de légumes racines sautés et mijotés, ndlr). Cela fait partie de ma culture, de mes souvenirs; j’ai grandi avec.
Wakapedia: Donc tu te remémores ces saveurs et tu essayes de les reproduire dans ta cuisine ?
Chef Sung Anh: C’est un mécanisme plus complexe. Je ne me souviens pas des goûts, mais plutôt des émotions que je ressentais. Je me souviens que lorsque j’aidais ma grand-mère, je sentais la chaleur de son corps contre le mien, je me souviens de ses gestes, de la connexion que nous avions. Lorsque je cuisine un plat d’inspiration japonaise, je m’inspire des souvenirs et de l’amour que je partageais avec ma grand-mère et j’essaie de les intégrer dans le plat que je crée.
Wakapedia: Wow, quelle anecdote touchante, un peu plus et on verse une larme ! Une dernière question et on vous laisse partir : qu’est-ce que l’art pour vous ? La cuisine est-elle de l’art ?
Chef Sung Anh: Je ne me considère pas comme un artiste, mais plutôt comme un artisan. Certes, les chefs étoilés créent des plats exceptionnels, mais la nourriture n’est pas seulement une œuvre à regarder ou à débattre, elle a un but précis, celui de satisfaire le palais.
Chef Luca Fantin: Je ne m’intéresse pas particulièrement à l’art, je ne suis pas un expert, mais je me sens un peu artiste parce que je peux transformer un morceau de viande en source d’émotions. C’est comme si je donnais une seconde vie à la nourriture.
Wakapedia: En partie artiste, en partie Dieu, en somme ! (rires)
Description & Interview: Sara Waka
Edited by: Camille Brunet